Sortie de l'école

Airi-Shina sortait à petits pas tranquilles de l'école. C'était un splendide après midi de printemps, et les feuilles déjà vertes des arbres voletaient au gré du vent...
La jeune Maiko souriait à la nature, heureuse pour une fois. Elle prenait toujours les choses comme elles lui venaient, et s'émerveillaient parfois de la simplicité des petits bonheurs quotidiens.

Elle marchait dans l'entrée de l'école, et allait atteindre la cour, quand un rayon éclaira son visage de plein fouet, révélant la couleur de ses yeux bruns magnifiques.
Elle sourit aussi au soleil....

Beaucoup de monde passait dans la rue, dont plusieurs hommes. Certains s'étaient arrêtés, et la contemplait sans la moindre discretion. Mais elle ne les voyait pas, émerveillée devant la beauté du jour...

Akyo observait les va et vient de la foule avec intérêt. Il était assit sur un banc, non loin de l’école d’arts martiaux. Par bonheur pour lui et ses camarades, l’école de Geisha était mitoyenne à la sienne. Tous les après midi, le jeune homme s’asseyait sur ce banc pour apprécier la sortie des jeunes filles. Elles se rendaient dans leurs Okiya respectives, attendant le soir pour sortir, accompagnées de leurs Grandes sœurs pour se rendre dans des maisons de thé.

Le jeune homme s’était toujours imaginé organisant un grand banquet dont les plus importants hommes d’affaires seraient les invités et où il y aurait au moins une dizaine de ces fascinantes créatures. Tout ceci n’était évidemment qu’un rêve.

Il posa ses yeux sur une de ces jeunes filles. D’après la couleur rouge de son col, elle n’était encore qu’une Maiko. Elle avançait à petits pas et observait les feuilles des arbres alentours avec ravissement. Soudain, une petite étoffe blanche s’échappa de son long obi. Akyo se leva précipitamment et attrapa l’étoffe au vol du bout de ses doigts. C’était un petit mouchoir de soie blanche finement brodé de fils d’or. C’était l’occasion. Il se dirigea à grands pas assurés vers cette jeune Maiko, l’interpella. Elle se retourna vers lui avec toute la grâce qu’exigeait sa profession. Lorsqu’il observa ses yeux profonds ainsi que sa pâle fraîcheur, il eut l’impression que son propre corps était grossier et que ses membres étaient trois fois trop grands pour lui. Il se força à sourire, ce qui ne devait pas être très concluant, et tendit la petite étoffe à la jeune fille, sans mot dire.

Airi-Shina étouffa une exclamation lorsque le vent balaya la cour, faisant s'agiter les plis étudiés de son kimono. Elle n'avait pas remarqué le mouchoir qui s'était échappé de son obi. Elle entendit le son de geta de bois sur le pavé et se retourna alors qu'on l'interpellait.

C'était un homme. Airi-Shina fut aussi surprise qu'un peu effrayée. Elle n'avait pas encore l'habitude d'approcher des hommes de si près... bien qu'il faudrait qu'elle s'y adapte...

Légèrement craintive, elle observa le jeune homme. Il ne devait pas avoir bien plus de vingt ans, et de soyeux cheveux noirs encadraient son visage fin. Il paraissait musclé, mais la jeune fille ne preta pas attention à ce détail. En effet, quelque chose chez lui la frappa comme la foudre. Son oeil gauche était vide, blanc. Il était aveugle de cet oeil ! Cette vue l'effraya en même temps qu'elle ressentit une douce pitié pour le jeune homme.
Elle se demandait ce qu'il lui voulait, quand elle aperçut le mouchoir blanc au creux de sa paume. C'était le sien ! Elle se rappela le brusque coup de vent de tout à l'heure, et en conclut qu'il avait du s'envoler.

Pendant ce temps, un silence s'était installé entre les deux jeunes gens, et Airi-Shina eut soudain peur que les gens dans la rue ne croient à un coup de foudre. Elle rosit sous ses fars, qui masquaient bien heureusement sa rougeur, et décida de dire quelque chose :

"Je vous remercie beaucoup, monsieur..."

Elle s'inclina, et tendit sa douce main en direction de celle du jeune homme. Elle avait un peu peur de le toucher, mais elle ne devait pas perdre ce mouchoir, sinon, on lui demanderait ce qu'elle en avait fait...
Sa fine main blanche frola juste celle du jeune homme, et elle récupera son mouchoir.

La jeune fille pris délicatement son mouchoir et remercia Akyo de sa douce voix. Lorsqu’elle tendit sa main, il put apercevoir le creux de son délicat poignet. Cette simple vue de la peau nue de la jeune fille le fit rougir. Il n’avait, à vrai dire, jamais parlé à une Maiko, et encore moins vue un morceau de sa peau nue. Il n’était même pas sensé se trouver là.

Il leva de nouveau les yeux et planta son regard dans celui de la jeune fille. Elle semblait le fuir, et il savait pertinemment pourquoi. Mais il ne pouvait s’empêcher de s’imaginer passer sa main dans ses doux cheveux et lui caresser la nuque…

Une nouvelle bourrasque, plus puissante que la précédente, vint troubler le calme de la cour. Les feuilles formaient de petites tornades, puis s’échappaient dans le ciel bleu. Akyo se rapprocha doucement de la jeune fille le temps de la bourrasque pour lui éviter d’être décoiffée et que de la poussière ne lui obstrue la vue. Le temps d’un instant, les pans de son hakama se mêlèrent avec ceux de son kimono. La beauté de l’étoffe du kimono jurai avec la sobriété de son vêtement.

Une fois la bourrasque passée, il se recula de quelques centimètres, la dévisagea une dernière fois, puis lui tourna le dos, se dirigeant vers l’école d’arts martiaux à grands pas.

Le jeune homme n'affichait d'autre expression qu'une profonde fascination, auquelle la jeune fille était habituée. Mais il la troublait, et elle était très gênée, de cette rencontre innatendue et insolite.

Une bourrasque plus forte que les autres firent se soulever de petites tornades de feuilles, et Airi-Shina le vit se rapprocher pour la protéger du vent. Rougissante de cette délicate attention, auquelle elle ne s'attendait pas de la part d'un homme (elle n'en connait pas beaucoup), elle ne bougea pas, et ne dis mot.

Il se recula et elle releva la tête, le dévisageant à son tour. Elle lui accorda un sourire, comme en récompense pour lui avoir rendu le ruban, qu'il aurait après tout pu garder, vu la richesse de l'étoffe.
Mais il tourna les talons et partit en direction de l'école d'arts martiaux d'un pas décidé.

Airi-Shina resta là quelques instants, encore troublée, puis repartit en direction de l'Okiya.