L'affaire du Hakama de soie

C'était le début de la soirée. La nuit était tombée sur l'école d'art martiaux. L'air était doux et la lune éclairait de sa lueur blafarde le visage d'un jeune homme.
Hikaru était nonchalamment assit sur les marches de la galerie de bois laqué donnant sur la cour intérieure. Il restait là, rêveur, à contempler les étoiles. Il se sentait étrangement bien, apaisé.
Mais soudain, un bruit de pas précipités se fit entendre. Puis, le jeune homme entendit des halètements, tandis que la porte des dortoirs s'ouvrait sans discretion. Hikaru se leva et rentra. Il aperçut quelqu'un dans le couloir, et lorsque la personne en question se rendit compte de sa présence, elle s'enfuit à toutes jambes.

"Eh, attends un peu, toi !"

Mais il avait déjà disparut à l'angle du mur. Hikaru ne chercha pas à le poursuivre, ni même à savoir de qui il s'agissait. Il était bien trop préoccupé par le morceau de tissu que le jeune homme avait laissé tomber. Il le ramassa.
C'était un hakama de soie noire, brodé de motifs de lotus argentés. Une riche et rare étoffe. Hikaru était certain de l'avoir déjà vue... et ne tarda pas à se rendre compte que ce hakama appartenait au Sensei en personne ! Mais que faisait cet élève en possession de ça ? Aucun doute possible, il avait dû le voler...
Horrifié, Hikaru entra dans le dortoir, le précieux habit en main.
Soudain, d'autres bruits de pas se firent entendre, plus calmes ceux-ci. Hikaru les auraient reconnu entre mille. Il s'agissait de son grand père !
Le jeune homme s'affola. Si Yokuyama-Sensei le voyait avec cela, il écoperait de plusieurs semaines de corvées pénible, et d'une suppression d'une partie de ses revenus... Il ne savait plus quoi faire. Il devait se disculper, par n'importe quel moyen !
Sans hésiter, il fourra le hakama sous le premier futon qui passa sous sa main.
Yokuyama-Sensei passa la tête par l'entrebaillement de la porte. Il était vêtu de son habituel hakama de coton blanc.

"Que fais-tu ici à cette heure avancée, Hikaru ? Je pensais que tu serais le premier à profiter de votre quartier libre..."

Hikaru répondit avec assurance :

"Je me sentais fatigué. Comme vous me voyez, grand père, je m'appretais à me coucher."

"Ah, très bien... si c'est ainsi, je vais te laisser."

Puis il repartit d'une démarche assurée, pour son grand âge.
Hikaru attendit qu'il soit parti pour sortir du dortoir et prendre la direction du quartier des plaisirs... en quelques minutes, il oublia complètement l'histoire du hakama... deux jours passèrent...

Cette après-midi là, Hikaru était, en compagnie d'une trentaine de ces camarades, à l'entraînement, dans la cour de l'école. Torse nu, il évoluait avec un sabre en bois, affrontant l'un de ses camarades. Il jetait de temps en temps des oeillades à Akyo, qui s'exerçait un peu plus loin. Le Sensei les observait d'un oeil expert et attentif, et en fin d'après midi, leur fit signe de s'interrompre. La journée était finie.
Hikaru s'appretait à sortir de la cour et de l'école en direction du rotenburo, lorsque son grand père s'exclama d'une voix sèche et ferme :

"Akyo, Hikaru ! Restez là ! J'ai à vous parler."

Intrigué, Akyo releva la tête et observa l'autre avec étonnement. Celui-ci haussa les épaules. Dès que tous eurent quitté la cour, le Sensei s'adressa à Hikaru.
Il soupira.

"Hikaru ! Je t'ai déjà dit et mille fois répété de ne pas entâcher l'honneur de notre famille en fréquentant des filles de joie ! Je sais de source sûre que tu es allé récemment dans ce quartier honteux !"

Hikaru baissa la tête comme un gamin prit en faute et avoua qu'effectivement, il s'y était rendu l'avant veille. Yokuyama-Sensei lui signifia qu'il aurait une semaine de corvée supplémentaire à effectuer en plus des siennes. Hikaru grimaça, mais ne contesta pas. Vint le tour d'Akyo.

"Quant à toi, jeune Akyo, laisse moi te dire que ton comportement me déçois. Voilà longtemps que tu es sous mon toit et je n'ai jamais eu à me plaindre de toi mais dans le cas présent, je ne te ferais pas de faveur. Tu as volé un Hakama de soie que l'on m'avait offert, et je me dois de te punir pour cet acte."

Le jeune homme ouvrit de grands yeux et tenta de se défendre, sans toutefois trop de véhémence, son courage emporté par le respect qu'il avait pour le Sensei. Hikaru se souvint enfin de cet épisode, et fut certain que ce n'était pas Akyo qu'il avait vu ce soir là. Il s'exclama :

"Mais, Yokuyama-Sensei, ce n'est pas lui qui..."

"Tais toi, Hikaru !! Cette affaire ne te concerne en rien ! Quant à toi, Akyo, tu auras la même sentence qu'Hikaru, et je m'estime indulgent ! Mais il n'y aura pas de prochaine fois ! C'est clair ?"

Les deux jeunes hommes hochèrent la tête, sans mot dire, et le Sensei, satisfait et sûr d'être obéi, s'en retourna vaquer à ses activités journalières.
Hikaru se tourna alors vers Akyo, guettant une réaction.

Les élèves du dojo s’entraînaient sans relache sous un soleil de plomb. Les corps suaient, car aujourd’hui, nous étions le premier mercredi du mois, le jour des katas… Chaque élève se devait de les connaître sur le bout des doigts. Ainsi, tout le monde étaient réuni dans la cour de l’école, torse nu, pour mieux sentir la morsure des rayons du soleil qui leurs léchaient la peau, ainsi que les éventuels coups perdus par son adversaire.

Akyo était fier de ce qu’il faisait. Voilà bien longtemps qu’il ne se trompait plus dans l’enchaînement des fameux katas, exercice qui demande plus de concentration et de précision que de force.

Mais, en fin d’après midi, le Professeur en personne lui ordonna de rester après le cours, ainsi que Hikaru. Peut-être que finalement il n’effectuait pas ses katas aussi bien qu’il le pensait…
Le Sensei fit des remontrances à Hikaru, lui affirmant qu’il avait été vu au quartier des plaisirs avec de douces compagnies. Akyo ne put s’empècher d’avoir un petit rictus devant la réaction du garçon…

Mais lorsque l’homme lui exposa le sujet de sa propre convocation, Akyo en resta bouche bée. Il était accusé de vol, lui, la réincarnation de la pureté ? Il était tellement abasourdi qu’il tenta de répondre au vénéré Sensei en personne. Heureusement pour lui, Hikaru lui coupa la parole… D’ailleurs, ce qu’il tenta de dire intéressa grandement Akyo.

Ils écopèrent tout deux d’une semaine de corvée. Malheureusement pour le jeune kendoka, il devrait l’effectuer en même temps que Hikaru…

Il lui lança un regard lourd de sous entendus. Sa mâchoire se crispa, et il serra si fort ses poings que ses phalanges blanchir. Il inspira profondément avant de lâcher :

- Je suppose que tu n’y es pas pour rien dans cette histoire de hakama, dont j’ignore absolument tout… Tu as réussi à me faire accuser. Heureux ?

Mais il ne lui laissa pas le temps de répondre.

- Eh bien savoure ta victoire, Yokuyama ! Que le saké coule à flot ! Et j’espère que tu t’y noieras dedans !

Hors de lui, Akyo tourna les talons avant de monter les marches de la galerie de bois sans écouter Hikaru.

La réaction d'Akyo n'étonna pas du tout Hikaru. C'était même ce qu'il craignait. Ce n'était pourtant pas de sa faute ! Oui, il avait voulu se disculper... mais cela aurait pu être le futon de n'importe qui d'autre...

Hikaru tenta de se défendre, mais il vit bien que le jeune homme ne l'écoutait pas. Fou de rage, le petit fils du Sensei courut dans sa direction et le contourna pour lui barrer le passage. Il l'attrapa par les épaules et le secoua un peu.

"Ecoute, Hideaki ! C'est pas ce que tu crois ! Ce n'est pas une affaire personnelle, je ne voulais pas faire ça... il s'est trouvé que les circonstances ont fait que..."

Il s'interrompit, réalisant que ses propos flous ne faisaient que l'enfoncer encore un peu plus. Akyo se dégagea brutalement et s'appreta à partir, mais Hikaru le retint une deuxième fois.

"Bon, ça suffit ! Puisque je te dis que je n'y suis pour rien !"

Alors, il lui expliqua tout. De la découverte de l'élève fuyard à la cache précipitée du Hakama sous le futon.
Hikaru lâcha Akyo et soupira. Il eut un sourire sans joie.

"Ca aurait véritablement pu être le futon de n'importe qui... Je m'excuse, c'était le premier à portée..."

Il savait que ses maigres excuses n'arrangeraient rien, mais il ne pouvait pas faire mieux, hélas. Il se détourna, s'arrêta et s'adossa à un pilier de bois, pour regarder à nouveau le jeune homme.

Alors qu’il était déjà bien engagé sur la galerie de bois, Akyo entendit les getas de Hikaru claquer rageusement contre le sol. Il n’eut pas le temps de se retourner que le jeune homme était déjà planté devant lui, le toisant de toute sa hauteur. Akyo ne cilla pas, mais ne put s’empêcher d’avoir un léger mouvement de recul lorsque l’autre voulu le pendre par les épaules : le souvenir de la simple claque qu’il avait reçu au rotenburo était encore cuisant.

- Écoute, Hideaki! C’est pas ce que tu crois! Ce n’est pas une affaire personnelle, je ne voulais pas faire ça… Il s’est trouvé que les circonstances ont fait que…

Akyo fronça les sourcils. Ces paroles ne faisaient que le conforter dans ses doutes, et il profita de la confusion du jeune homme pour se dégager de son étreinte. Mais il n’eut pas le temps de faire deux pas que Hikaru lui saisi de nouveau les épaules.

- Bon, ça suffit! Puisque je te dis que je n’y suis pour rien!

Puis le jeune kendoka eut droit à des explications détaillées de la part de son camarade. Il alla même jusqu’à lui expliquer qu’il avait reconnu le son des pas de son grand père sur le sol… Vraiment, il y avait bien trop de détailles pour que cette histoire ait été inventée. De plus, Hikaru avait quelque peu perdu de sa superbe…

Enfin, il présenta même ses excuses à Akyo. Celui-ci fut si surpris qu’il en resta bouche bée, les yeux écarquillés. Il observa le jeune homme un instant comme s’il était un parfait étranger. Puis, ce dernier se détourna. Akyo crut tout d’abord qu’il préférait se retirer une fois ses excuses présentées, mais finalement, il s’adossa simplement contre un pilier de la galerie et reposa les yeux sur lui, guettant une réaction de sa part.

Le kendoka se ressaisit, mais l’histoire de Hikaru l’avait convaincu. Il ferma les yeux, n’osant pas les poser sur le jeune homme : il avait honte de s’être emporter contre lui. Il hocha la tête pour lui montrer qu’il acceptait ses excuses, mais n’ajouta pas un mot. Ils se quittèrent ici. C’était leur dernière soirée de paix…

----------------------

Le lendemain, Akyo se leva avant le soleil. En effet, la première corvée qui les attendaient était probablement la plus pénible : laver, étendre, repasser et plier avec minutie les hakamas de tous les résidents de l’établissement. Un travail long et pénible qui demandait patience et concentration.

Une fois vêtu, Akyo se dirigea vers le futon de Hikaru et s’agenouilla près de lui, silencieusement, pour ne pas réveiller les autres. Il tenait une bougie à la main et la leva au dessus du futon pour mieux observer son camarade : il semblait dormir à poings fermés. Il avait une respiration lente et profonde : celle du sommeil. Sa couverture était rejetée sur le côté et le jeune homme, visiblement insensible à la pudeur, ne fermait pas son kimono, exposant les parties intimes de son corps aux yeux de tous.

Akyo ne put s’empêcher de soupirer. N’avait-il aucun honneur? Aucune pudeur? Après cette brève réflexion il posa sa main sur l’épaule nue du jeune homme et le remua, légèrement tout d’abord, brutalement ensuite. Hikaru fini enfin par entrouvrir les paupières lorsque Akyo murmura son nom. Le jeune homme grogna et se tourna de l’autre côté, exposant son dos au jeune kendoka. Ce dernier se redressa, soupira de nouveau, et chuchota :

- Yokuyama! Debout! Sinon, c’est toi qui plieras tous les hakamas!

Puis il tourna les talons et se dirigea vers la porte coulissante en slalomant prudemment entre les futons.

Ayame était en face de lui, et l'observait avec ce charmant sourire qui l'emplissait de désir à chaque fois. Elle était si belle ! Mais elle n'était qu'une simple fille de joie, néanmoins sa préférée. Elle ondulait sur lui, avec des gestes experts. Mais soudain, alors qu'ils étaient en pleins ébats, elle le secoua par l'épaule. Doucement, puis brutalement.

Son rêve fut brutalement interrompu par une voix faible, mais masculine. Déçu, Hikaru grogna et se tourna sur le côté. Il mit un certain temps avant de reconnaitre la voix de Akyo.

Le petit fils du Sensei se redressa en se frottant les yeux comme un enfant. Akyo était déjà repartit, et Hikaru remarqua que tout le monde dormait encore. Mais pourquoi le réveillait-on ? Il se souvint soudain.

**Aaaah meeeerdeee..... j'avais completement oublié cette histoire.... argh !**

Il se redressa pourtant, et rassembla les pans de son kimono, histoire d'être à peu près présentable. Il suivit sans bruit son camarade.
Ils parvinrent à la laverie où attendaient les hakamas des autres. Hikaru grogna en en attrapant quelques uns.

Il lavait rarement les hakamas.... la seule chose qu'il savait vraiment faire c'était les plier... il devait se débrouiller aussi pour les faire sécher...

"Euh... Hideaki... tu vas me trouver idiot mais... on fait comment ?"

Akyo le regarda d'un air ahuri. Surpris et presque méprisant, il lui prit le tas de hakamas et s'en chargea lui même.
En échange, Hikaru les essora au fur et à mesure, puis les étendit à une corde, dans la cour près de la buanderie.

Les vitres de la petite buanderie étaient recouvertes de buée, signe que Hikaru et Akyo ne faisaient pas semblant de travailler. Dehors le soleil se cachait déjà derrière l‘horizon. Les hakamas séchaient vite et Akyo les lavait à une vitesse folle, donnant encore plus de peine à son compagnon de galère. La toile épaisse et rêche des vêtements faisaient saigner les mains des jeunes hommes pourtant habitués à manier le katana.

Un bruit semblable à un gargouillis résonna dans la petite pièce. Le ventre d’Akyo criait famine. Celui-ci passa le revers de sa main sur son front, y déposant au passage une grande quantité de mousse, s’accouda au large lavoir de pierre et lâcha un profond soupir qui laissa transparaître sa lassitude. Il lança un coup d’œil en biais à Hikaru : celui-ci pliait toujours les vêtements avec application. Mais d’autres encore attendaient d’être à leur tour lavés, séchés, pliés… Le jeune kendoka aurait souhaité entamer la conversation pour briser le silence pesant qui baignait la pièce… Mais que dire?

Las et affamé, Akyo se laissa choir sur le sol de terre battu de la buanderie. Il observa les courbes que formait sa peau au bout de ses doigts : à force de frotter, la base de ses ongles saignait et jurait sur la pâleur de sa peau…

Il ferma les yeux, pour écouter le cours de chant des jeunes Maikos : les salles de classes était attenantes à la buanderie. Leur professeur s’était absentée quelques instants, elles en profitèrent donc pour chanter à l’unisson une chanson traditionnelle à l’aide des instruments mis à leur disposition. [Pour écouter : ici]

Les minutes passèrent, les heures également. Les deux jeunes gens s’éclairaient maintenant à la bougie pour plier ensemble les derniers hakamas. Voyant qu’il n’en restait qu’une dizaine, Akyo se tourna vers son camarade et lui lança :

- Je suis désolé, je te laisse plier les derniers. Je vais… aux toilettes.

Cette excuse étant totalement fausse en plus d‘être stupide, le jeune homme se dépêcha de se glisser à l’extérieur, de traverser la cour, et de se faufiler à travers les battants de la porte cochère. Enfin, il sentait l’air frai de la rue. Akyo était de ceux qui ne supportent pas l’enfermement. Et une journée passée à laver et plier des hakamas, avec une personne qu’il craignait de surcroît, lui avait supprimer ce bonheur de contempler la nature et les jolies jeunes filles…

Hikaru regarda partir le jeune homme avec un mélange de déception et de colère. Désormais, il était tout seul à se dépatouiller avec ces hakamas. Il détestait ce travail, et tout ça pour avoir voulu se faire plaisir ! Il fulminait.

Il pliait avec application les dix derniers hakamas tout en songeant à ce que Akyo allait bien faire. Il ne croyait pas un mot de son excuse.

"Aux toilettes.... pfff.... à d'autres !" Murmura t-il pour lui même.

Il avait mal partout, et souffrait de rester ainsi penché sur son ouvrage. Il décida qu'un soir prochain, il irait se détendre dans une maison de thé, et profiter de la compagnie de Geisha !

Mais pour le moment, il devait terminer sa corvée...